Diffamation & injure : l'indispensable assistance d'un avocat
Jean de Bary, avocat spécialiste en droit pénal au barreau d'Angers
Publiée le mardi 21 février 2023 à 10h15 dans Actualités juridiques
La diffamation et l'injure sont des délits dit "de presse" car il ne s'agit pas de délits "classiques" (c'est-à-dire de droit commun) mais de délits prévus et réprimés dans une loi spéciale, la fameuse loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette loi n'est pas applicable qu'aux médias mais à toute personne car il s'agit notamment d'encadrer les limites à la liberté d'expression. Toutefois, la liberté d'expression étant un droit fondamental, ces limites sont strictes et encadrées par des règles rigoureuses. Cette rigueur rend l'assistance d'un avocat indispensable, tant pour se plaindre d'une personne pour diffamation ou injure que pour se défendre d'une accusation de diffamation ou injure. Cet article a pour but d'illustrer le nécessité de recourir à un avocat avec deux exemples de décisions obtenues par le cabinet.
1. Jugement du tribunal correctionnel d'Angers du 13 décembre 2021 (minute n°1542/2021 - parquet n°19-339-68)
Le cabinet a obtenu la nullité de la plainte avec constitution de partie civile du plaignant pour diffamation (pourtant rédigée par un avocat) en raison du défaut de mention de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. En conséquence, la prévenue a été relaxée.
En effet, l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose que :
« Si le ministère public requiert une information, il sera tenu, dans son réquisitoire, d'articuler et de qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels la poursuite est intentée, avec indication des textes dont l'application est demandée, à peine de nullité du réquisitoire de ladite poursuite.»
Le but de cette règle est de permettre à la personne mise en cause de connaître, dès l'engagement des poursuites et sans équivoque, la nature et l'étendue de celles-ci, pour la mettre ainsi en mesure de préparer utilement sa défense. Si la règle vise littéralement le réquisitoire, elle s'applique en réalité au bloc procédural plainte avec constitution de partie civile / réquisitoire introductif.[1]
Ce texte emporte trois exigences cumulatives :
- Articulation des faits ;
- Qualification des faits ;
- Indication des textes dont l’application est requise.
Dans cette affaire, c’est la troisième exigence qui fait défaut au sein de la plainte avec constitution de partie civile à défaut de mention du premier alinéa de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 réprimant la diffamation, seul l’article 29 définissant la diffamation étant indiqué et reproduit.
Cette nullité est d'ailleur d'ordre publique et doit être prononcée d’office, mais encore faut-il que quelqu'un la souligne...
2. Arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Angers du 3 mai 2022 (arrêt n°289 - parquet général n°21/00143)
Le cabinet a obtenu dans cette affaire plusieurs succès :
- Succès de forme : nullité de deux plaintes avec constitutions de parties civiles, de deux réquisitoires introductifs et, s'agissant de ces deux plaintes, de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et des citations devant le tribunal et la cour d'appel, ainsi que la constatation de la prescirption concernant ces deux plaintes et donc la relaxe du prévenu
- Succès de fond : relaxe du prévenu concernant une troisième plainte
- Succès financier : Condamnation des trois plaignants à régler au prévenu la somme de 652,80 € en application de l'article 800-2 du code de procédure pénale (il s'agit des frais de défense, toutefois plafonnés au barème de l'aide juridictionnelle)
S'agissant des plaintes qui ont été annulées, encore une fois, les plaintes avaient été rédigées par un avocat, mais elles comportaient un vice de forme car elles visaient l'infraction de diffamation envers un agent public travaillant pour le compte d'une collectivité territoriale, qualité non prévue par l'article 31 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
En effet, selon l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, l’acte initial de poursuite doit, à peine de nullité, articuler et qualifier le fait incriminé ainsi qu’indiquer les textes dont l’application est demandée. La qualification pénale est donc requise à peine de nullité et toute équivoque quant au fondement de la procédure engagée est contraire à l’article 50.
A ce sujet, la Cour de cassation considère qu'« en matière de diffamation, une plainte avec constitution de partie civile qui omet d'énoncer la qualification exacte des faits dénoncés, et vise de manière approximative un ensemble de textes applicables à des infractions de nature et de gravité différentes, laisse incertaine la base de la poursuite et ne satisfait pas aux exigences de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 » (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 25 juin 2013, 12-84.696, Publié au bulletin).
S'agissant de la troisième plainte, la Cour a également suivie l'argumentation de la défense qui soutenait que la diffamation n'était pas caractérisée car le délit de diffamation suppose l’allégation d’un fait suffisamment précis et déterminé pour faire sans difficulté l’objet d’un débat probatoire, sur le fondement de la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation (Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 17 février 1981, 79-92.748, Publié au bulletin ; Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 26 janvier 2016, 14-87.039, Inédit ; Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 24 mai 2016, 15-83.002, Inédit).
La cour d’appel de Paris a pu quant à elle considérer qu’accuser une personne d’être toujours en train de « magouiller, de mentir et de cacher des choses », reproche bien des comportements moralement contestables, mais ils sont insuffisamment précis pour être l’objet d’un débat contradictoire sur la vérité (CA PARIS, Pôle 2, Chambre 7, 25 septembre 2019, RG n°17/15411, cité par BIGOT Christophe, Pratique du droit de la presse, 3ème édition 2021-2022, 321.32).
En l’espèce, les trois parties civiles se plaignaient que le prévenu ait reproduit un message d'une tierce personne leur imputant des « comportements abusifs ». Ces propos sont insuffisamment précis pour faire l’objet d’un débat contradictoire sur la vérité et, partant, l’un des éléments constitutifs de la diffamation fait défaut et le prévenu a été relaxé.