Remise en liberté du mis en examen incarcéré provisoirement en l'absence de délivrance du permis de communiquer à son avocat
Jean de Bary, avocat spécialiste en droit pénal au barreau d'Angers
Publiée le vendredi 21 mai 2021 à 08h43 dans Actualités juridiques
Dans un arrêt du 10 mars 2021, la Cour de cassation a décidé que le refus de délivrer un permis de communiquer à l'avocat du mis en examen incarcéré provisoirement dans l'attente du débat conradictoire devant le juge des libertés et de la détention entache d'irrégularité la décision et ce, quand bien même la personne mise en examen a été assistée avec son accord par un avocat commis d'office qui n'a émis aucune protestation.
Il s'agit d'un arrêt de principe au visa des articles 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et 115 du code de procédure pénale dont la Cour a précisé la portée en décidant que :
"Le défaut de délivrance du permis de communiquer en temps utile, met en cause la régularité du débat contradictoire et donc celle de l’ordonnance rendue et du titre de détention qui en résulte"
La référence au "temps utile" risque de donner lieu à une jurisprudence intéressante tant en regard de la date de la demande de report, que de la date de la délivrance du permis de communiquer et des modalités d'accès aux établissements pénitentiaires.
Cette décision est dans la droite ligne de la jurisprudence habituelle de la chambre criminelle qui a rendu plusieurs arrêts de principe en la matière, avec une motivation similaire au visa des mêmes textes :
"Vu les articles 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, 115 et R. 57-6-5 du code de procédure pénale ;
Attendu qu'en vertu du principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, résultant de l'article 6 paragraphe 3, c, de la Convention européenne des droits de l'homme, la délivrance d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat est indispensable à l'exercice des droits de la défense ; qu'il en découle que le défaut de délivrance de cette autorisation à chacun des avocats désignés, avant un débat contradictoire tenu en vue de l'éventuelle prolongation de la détention provisoire, fait nécessairement grief à la personne mise en examen ;"
Cette motivation consacre la double mission de l'avocat : défendre et conseiller, la défense ne pouvant pas utilement être préparée en l'absence de délivrance d'un permis de communiquer. Cette exigence apparaît quasi absolue pour la Cour de cassation qui s'est prononcée déjà dans plusieurs cas :
- Lorsque plusieurs avocats sont désignés et que celui habilité à recevoir les convocations a obtenu un permis de communiquer mais qu'un autre avocat régulièrement désigné a sollicité un permis de communiquer quatre jours avant le débat sans l'obtenir (arrêt du 12 décembre 2017) ;
- Lorsque l'avocat désigné a présenté une demande délivrance d'un permis de communiquer quarante-huit heure avant le débat (renouvelée plus de vingt-quatre heures avant le débat) et que le permis lui a été délivré moins d'une heure et demi avant celui-ci (arrêt du 9 mai 2019) ;
- Lorsque plusieurs avocats sont désignés et que le permis de communiquer demandé a été transmis à la maison d'arrêt mais non à l'avocat qui l'a sollicité, quand bien même un autre des avocats du mis en examen en avait obtenu un auparavant (arrêt du 20 novembre 2019) ;
- Lorsque le permis de communiquer à été sollicité deux jours avant le débat et délivré le lendemain du débat (arrêt du 7 janvier 2020) ;
Dans ces décisions toutefois, le mis en examen n'était a priori pas assisté d'un avocat, tandis que dans l'arrêt du 10 mars 2021 le mis en examen a été assisté d'un avocat de permanence et ce, sans émettre de protestation et avec l'accord du mis en examen. La Cour de cassation a toutefois considéré que cela ne régularisait pas la procédure dans la mesure où le fondement de cette jurisprudence est de permettre au mis en examen de préparer sa défense avec son ou ses avocats "en temps utile".
Relevons d'ailleurs a cet égard que pour la Cour il s'agit d'une nullité faisant nécessairement grief, quand bien même d'ailleurs, le juridiction releverait "qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits de la défense dès lors que, selon les propres déclarations de M. X..., Maître B... était en possession de tous les documents nécessaires à sa défense et que, lors du débat contradictoire du 18 septembre 2019, aucune écriture n’a été déposée et aucun des avocats choisis ne s’est présenté au cabinet du juge des libertés et de la détention pour prendre connaissance du dossier et s’entretenir confidentiellement avec l’intéressé avant la tenue du débat" (arrêt du 7 janvier 2020).
La Cour apporte peu de limites à cette obligation de délivrer le permis de communiquer en temps utile :
- Une circonstance insurmentable empêchant la délivrance du permis de communiquer (quoique la jurisprudence de la Cour n'offre - sauf erreur - pas d'illustration d'une telle circonstance) ;
- Le permis de comuniquer n'a pas à être remis mais délivré par le juge, ainsi, il appartient à l'avocat de se déplacer pour le retirer ou bien de solliciter un report du débat, si les délais légaux le permettent (arrêt du 10 mars 2020).